Une fable improbable, un pléonasme et un oxymore


Moins probable qu’une fable ordinaire ?

Les fausses affirmations et les fausses histoires, inventions de l’esprit, contiennent toute l’ambivalence du mot dans son rapport au réel : c’est-à-dire l’acte de foi presque aveugle dans les broderies humaines qui les embellissent, les noircissent, les déforment, les divisent et les découpent, autant que la confiance dans les faits avérés.

Ou, comme le dit Aristote, il faut préférer l’impossible probable au possible improbable (Προαιρεῖσθαί τε δεῖ ἀδύνατα εἰκότα μᾶλλον ἢ δυνατὰ ἀπίθανα, Poétique, 1460a2).

On pourrait dire qu’une fable perd beaucoup de son caractère de fable en devenant improbable, c’est-à-dire en perdant ce qui dans la fable insiste, persévère jusqu’à ce que l’oreille qui entend la fable s’adoucisse un peu, jusqu’à ce que l’oreille qui entend la fable entende les mots de la fable comme de sa propre bouche.

Alors l’auditeur devient méfiant et voit la machine en suspension, ses lignes, le fil blanc, et la fable devient une intrigue. Le fil est épais et l’on se demande ce qu’il signifierait et si à tout hasard il ne s’agissait pas d’un piège.

Personne ne veut être l’idiot d’une farce ; être le héros d’une fable impossible, honteuse, d’un anathème.

La fable est presque perdue, alors : il n’y reste guère plus que le désir de séduire, l’artefact pour y parvenir et le résultat.

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Et il y a des faits qui ne peuvent jamais être séparés de l’histoire : qui commence, qui s’arrête, qui reprend, qui coupe, etc.

Pour citer à nouveau Aristote, lorsque quelque chose est faux, nous lui donnons de la crédibilité en le juxtaposant à quelque chose d’autre qui est vrai. Nous le faisons briller, luire.

Parfois, au contraire, nous voulons contaminer ce que nous disons avec de l’empressement et presque un sentiment d’obligation, afin de ne pas y attacher trop d’importance, et alors nous juxtaposons une fausseté à une anecdote vraie. Et soudain, alors que nous pensons reconnaître l’apparence du protagoniste, sa veste, sa façon de parler, sa barbe, les animaux de la ferme se mettent à parler, à se fréquenter, à jouer aux cartes et à raisonner de la manière la plus naturelle qui soit.

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Une fable est une « histoire courte » dont le personnage principal est un être humain, un animal, une plante, un objet inanimé ou une chimère – bref, à peu près n’importe quoi, et peut-être même, pourquoi pas, le néant lui-même.

Formellement, il s’agit d’une histoire fantaisiste, comme celle d’une personne sortie des bois, sauvage, et qui se frotte dans la boue, qui prend des coups de soleil ou qui s’enivre violemment. Il court dans le même temps le bruit que les fables seraient « vraies », « justes » ou « pleines de sagesse ».

Ainsi, à l’instar d’un roi qui envoie des messagers dans un pays lointain pour le forcer à se soumettre ou le menacer de guerre, les fables, toutes improbables qu’elles puissent sembler, « portent » un message.

Impossible ? Il s’agit de quelque chose qui « a peu de chances de se produire » ou qui est tout simplement incroyable, qui ne correspond guère à la réalité. Le problème est que nous prenons un événement – l’arrivée d’une personne, le succès d’une affaire, les paroles d’un être doué de langage, l’intrigue d’un escroc ou les machinations d’un mécanicien – et que nous lui attribuons une « note » allant du « plus probable » au « moins probable », de l’impossible au certain, comme un phénomène aléatoire et imprévisible.

Définitivement aléatoire.

Aléatoirement impossible.

Une fable improbable : à la fois un pléonasme et un oxymore.